Avec le CPE ressurgissent deux antiennes. L'une sur le chômage des jeunes,
l'autre sur la " guerre des générations ".
Le chômage des jeunes : depuis longtemps s'est répandue l'idée
selon laquelle " un jeune sur quatre " est au chômage en France. En réalité,
et fort heureusement, seul un jeune sur douze est dans cette situation.
Le taux de chômage des 16-24 ans était de 22% en janvier 2006. Mais ce
taux, comme tous les taux de chômage, est calculé en rapportant le nombre
de chômeurs aux seuls actifs, soit en l'occurrence les jeunes qui ont
un emploi et ceux qui sont au chômage. Par construction, il ne prend donc
pas en compte tous ceux, soit l'écrasante majorité des jeunes, qui sont
en formation (les deux tiers des 16-24 ans sont dans ce cas en France).
Il y a bien presque un jeune actif sur quatre au chômage. Mais avec moins
de 8% (un sur douze) de chômeurs parmi l'ensemble des jeunes de cette
classe d'âge, la France se situe exactement dans la moyenne de l'Europe
des 15. Le boom scolaire et universitaire, particulièrement vif au cours
des trois dernières décennies dans l'hexagone - et qui résulte, en partie,
de la volonté de se prémunir, par le diplôme, du risque chômage (comme
quoi tout se tient…) -, explique cette situation. Comment expliquer alors
la permanence de l'antienne selon laquelle " un jeune sur quatre est au
chômage " ? On peut soutenir qu'une étonnante convergence de logiques
opère ici. La logique de certains médias, d'une part, qui relaient d'autant
plus allègrement l'antienne qu'ils sont plus souvent en quête de " scandales
" (celui du chômage des jeunes en l'occurrence) que d'arguments rationnels
pariant sur l'intelligence de leurs publics. La logique de certains autres
qui ont parfois tendance à assombrir la situation pour mieux la dénoncer,
sans comprendre qu'à agir ainsi on désarme bien plus souvent qu'on ne
mobilise. La logique du gouvernement enfin qui peut paradoxalement avoir
intérêt à " noircir " ce qui relève pourtant de son bilan, afin de faire,
pense-t-il, passer ainsi plus aisément certaines de ses décisions. " Un
jeune sur quatre est au chômage : on ne peut rester sans rien faire "
: tel était déjà l'argument avancé par le gouvernement, en 1993, pour
justifier le Contrat d'Insertion Professionnelle. Tel est l'argument repris
par Villepin pour justifier le Contrat Première Embauche.
Trois ans après leur sortie de formation initiale, 70 % des jeunes actifs
sont en CDI. Ce taux est de l'ordre de 80% pour les diplômés des 2nd et
3ème cycles universitaires, mais aussi de 68% pour les titulaires d'un
CAP ou BEB et de 73% pour les bacs professionnels ou technologiques. On
est loin du tableau noir dressé par certains. Les difficultés d'insertion
à long terme - qui se réduisent quand le chômage baisse - concernent surtout
les non-qualifiés : seuls 52% sont en CDI au terme des trois ans.
La " guerre des générations " ? L'image fait florès. C'est le syndrome
de Cronos : les géniteurs seraient devenus prédateurs de leur propres
enfants. L. Chauvel, expert sur la question des jeunes, indique, par exemple,
à leur propos, que " la France les a sacrifiés depuis vingt ans pour conserver
son modèle social, qui profite essentiellement aux baby-boomers " (Le
Monde du 6 mars 2006), N. Sarkozy, on le conçoit, ne cesse de fustiger
le modèle social français. Mais au fait : ce que l'on nomme le " modèle
social ", l'Etat social en fait - qui n'est certes pas sans défauts comme
le montre la faible protection accordée aux chômeurs - n'a-t-il pas été
largement remis en cause au cours des vingt dernières années ? Des réformes
libérales n'ont-elles pas été appliquées, avec le succès que l'on sait,
en matière de croissance, d'emploi ou d'inégalités ?
La question du " défaut de croissance " justement ? Les exégètes de
la " guerre des générations " l'éludent. Pourtant, toutes les études montrent
que lorsque la croissance est là, l'emploi redémarre, le chômage se réduit,
le tout au bénéfice, en premier lieu, des jeunes. Entre 1997 et 2001,
près de 2 millions d'emploi ont été créés en France, et le taux de chômage
des jeunes est passé de 28,1 % à 18,7 %. Une réduction d'un tiers en quelques
années donc. Les jeunes actifs sont plus souvent au chômage que les 30-50
ans ou les seniors, mais ils y restent moins longtemps, leur chance d'en
sortir étant plus importante. N'en déplaise aux scoliastes des baby-boomers
dévorant leurs enfants, qui, à nouveau, noircissent la situation des jeunes
comme si celle-ci n'était pas déjà suffisamment sombre, les trentenaires
d'aujourd'hui ont, en moyenne, un niveau de vie plus élevé que ceux des
années 1970. Seuls les non-qualifiés, massivement frappés par le chômage
et la précarité comme on l'a dit, ont perdu en pouvoir d'achat.
Il y a bien creusement des écarts de revenus entre les jeunes et les baby-boomers.
Mais l'essentiel est ailleurs : à l'exception des cadres dirigeants, toutes
les catégories de salariés, y compris les 30-60 ans, ont vu leur condition
relative par rapport aux propriétaires du capital, dont les revenus ont
explosé, se dégrader, les plus exposés d'entre eux, les jeunes et les
chômeurs, étant bien entendu les plus touchés, d'où le fameux creusement
des écarts.
Les jeunes d'aujourd'hui risquent de connaître demain des conditions d'emploi
encore plus dégradées et après-demain une retraite au rabais. Une " génération
sacrifiée " donc. Mais par qui ? A la lecture en termes de " guerre des
générations ", on peut en proposer une autre. Si les jeunes d'aujourd'hui
connaissent toute leur vie durant le libéralisme, ils " trinqueront ",
en effet, toute leur vie durant comme " génération sacrifiée "… par le
libéralisme.
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