REFLEXION SUR LE MOUVEMENT

Par Gilbert Rodriguez
Collectif Première Embûche Nanterre


Cet article se veut une réflexion en quelque sorte à chaud (1) sur 3 points précis et restreints soulevés par l'actuel mouvement social. En conscience que ces points sont loin de faire l'unanimité - mais c'est sans doute ce qui en constitue l'intérêt particulier - car comme tout grand mouvement social les différents acteurs, groupes, couches s'engageant dans la lutte le font à partir de leurs propres déterminants et motivations et appliquent des grilles de lecture disparates aux évènements qui le ponctuent. Autrement dit la qualification du mouvement, ses principales caractéristiques, ses objectifs constituent un enjeu politique pour maintenant et pour après.

Mouvement de jeunesse exclusivement ?

La jeunesse étudiante et lycéenne joue incontestablement par son engagement, la forme des luttes, la définition des objectifs un rôle de premier plan dans ce mouvement. Elle lui donne son dynamisme et son esprit offensif. Par sa détermination et l'originalité de ses modes d'intervention, par sa ténacité elle marque l'espace social, public et politique de sa forte emprunte.
Par ailleurs, comme l'indique Michel Vakaloulis dans un article récent on a affaire sans doute pour toute une génération à une " socialisation politique accélérée ". Pour autant le mouvement ne saurait être réduit à un mouvement de jeunesse stricto sensu et l'on devrait davantage parler d'un mouvement intergénérationnel et interprofessionnel qui dans la grève et les manifestations multiples a vu converger l'action des jeunes, des salariés, des retraités, des parents et grands-parents …
Plus que d'une action de solidarité à l'égard de jeunes frappés de discrimination, on peut sans doute parler d'une action commune contre une attaque visant les garanties conquises de longue lutte et mettant en cause le code du travail lui-même et par conséquent l'ensemble du monde du travail.
La pression du pouvoir et des médias pour désigner le mouvement comme exclusivement jeune s'apparente - au-delà de la mise en valeur de ce qui est le plus spectaculaire et le plus vendeur - à la volonté d'empêcher les progrès d'une conscience de la communauté d'intérêts entre générations de la même manière qu'on a tenté d'opposer des fractions de la jeunesse contre d'autres (jeunesse des banlieues contre jeunesse scolarisée par exemple).

Plate-forme de la lutte

C'est une question centrale. Elle constitue un enjeu et fait l'objet d'un malentendu de fond qui recoupe pour partie la diversité des acteurs (salariés et étudiants, coordinations et organisations syndicales).

La qualification de la plate-forme - fait majeur - détermine par ailleurs l'appréciation sur l'issue du mouvement : victoire/défaite ou succès partiel. Pour mémoire je rappellerai succinctement quelques éléments de chronologie :
La mise en place du CNE date d'août 2005.
L'annonce du projet d'établissement du CPE date du 16 janvier 2006.
Le premier appel à l'action pour exclusivement le RETRAIT du CPE de la part d'une quinzaine d'organisations de jeunesse, d'associations et d'organisations syndicales étudiantes et professionnelles date du jeudi 19 janvier.
La première grande action nationale a lieu le 7 février et c'est à partir de ce moment que débute le mouvement étudiant, en particulier dans l'ouest à Rennes.
Ensuite viennent les grands moments de mobilisation commune qui ont permis de manière décisive le développement parallèle du mouvement étudiant et de celui des salariés appuyé sur le soutien de plus en plus majoritaire de l'opinion publique (7 mars, 18 mars, 28 mars, 4 avril).

C'est du côté du mouvement étudiant que s'est produit un élargissement de la plate-forme :
Pour une part par souci de cohérence et pour certaines minorités par esprit de surenchère et de différenciation et par opposition de principe aux organisations syndicales. En effet, l'article 8 concernant le CPE de la loi dite " d'égalité des chances " n'est pas le seul élément à faire l'objet de contestations justifiées puisque par exemple sont également concernés dans la loi elle-même, l'apprentissage dès quatorze ans et le travail de nuit dès quinze ans pour les apprentis. Pour ne rien dire du CNE déjà appliqué et dont la logique est strictement identique au CPE.
De son côté l'intersyndicale nationale est restée centrée sur l'objectif du retrait du CPE de la loi et elle est par conséquent fondée à considérer que l'objectif central et initial est bel et bien atteint.

Pour ma part je demeure persuadé que c'était la seule position juste pour 2 raisons fondamentales :
1) c'est cette mesure discriminatoire qui a fait l'unité du mouvement et constitué le ciment d'un ensemble par ailleurs disparate : jeunesse, salariés et opinion publique plus généralement. De ce point de vue élargir la plate-forme sous apparente radicalisation c'était diviser, affaiblir le mouvement l'exposer à l'isolement et à une répression de plus en plus dure.
2) la politique étant par essence l'art du possible c'était un objectif à portée de main dont l'atteinte est de nature à redonner confiance au mouvement populaire conduit au fatalisme depuis des années après une série de défaites et de revers. Mais n'en doutons pas les accusations récurrentes de trahison par les bureaucraties syndicales vont fleurir !

Mouvement social et moment politique

Pour ne pas être long je rajouterais seulement, qu'en partie la surenchère sur les objectifs du mouvement résulte également d'une appréciation erronée des fonctions du mouvement social. Confrontés à un mouvement GLOBAL de contre-réformes libérales de remodelage de la société, certains attendent du déploiement propre de la résistance sociale une sorte de débouché politique automatique et de transformation de la société.
C'est par là perdre de vue la nature spécifique du mouvement social, la fonction particulière des organisations syndicales regroupant les salariés sur la base d'une communauté d'intérêt au-delà de la diversité des appartenances politiques, religieuses …et la spécificité de la fonction et du moment politique qui concerne un projet global pour la société dans son ensemble et non tel ou tel aspect des politiques mises en œuvre par le pouvoir en place.

Après des années de défaites, de reculs et de désenchantement la jeunesse, le mouvement syndical viennent de remporter une victoire imposante dont le plus important -au-delà du CPE - est sans doute l'effet de confiance dans l'action collectif et unitaire qui en résulte. Gage d'autres victoires et d'autres avancées au plan social mais aussi au plan politique. Mais c'est une histoire qu'il nous faudra aussi écrire ensemble !


Gilbert Rodriguez
Rattaché au syndicat CGT
Paris X Nanterre


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