DROIT DU TRAVAIL, DROIT AU TRAVAIL… MISE AU TRAVAIL

Par Julien Bordier - Collectif Première Embûche Nanterre


Comme nous le voyons bien dans les différentes discussions que nous pouvons avoir autour du CPE et comme le montrent les textes publiés ici, on ne peut se passer dans ce débat d'une réflexion sur le salariat.

La conception du salariat telle que nous la connaissons peut être réfutée. Nombreux sont ceux et celles qui l'ont fait, or leurs pensées prennent le chemin des poubelles de l'histoire. L'objet de court texte n'est pas de faire un historique de la réflexion anti-salariat, mais cette dernière sera utilisée ici comme un parti pris. Ce texte cherchera à mettre en évidence, à travers deux exemples, que le travail salarié a bien dû s'imposer comme forme dominante de l'activité humaine. Il tentera également à montrer - à travers quelques références - qu'il existe une opposition à la culture du travail salarié - historique et actuelle - et qu'elle peut occuper une place importante dans la question du salariat.

La culture du travail

Ceux et celles qui ont étudié Weber l'auront bien compris : la "folie rationnelle" du "vivre pour travailler" s'est construite sur des bases idéologiques. Mais sortons ici de la simple étude et adoptons l'œil de l'anthropologue sur deux documents, extraits de manuels scolaires datant du début du siècle.


Une page du "Deuxième livre de récitation et de morale . Cours moyen. Livre de l'élève." Paris, Larousse, 1919. (Collections Bibliothèque I.N.R.E.F.)




DEUXIEME LIVRE DE RECITATION Septembre 1. - Au travail ! A l'œuvre, amis, et sans relâche ! Et puis chantons pour alléger la tâche ! Sans la peine point de plaisir. Le sort mesura nos loisir ; Mais ceux qui travaillent longtemps, Entre tous, sont fiers et contents. A l'œuvre, amis, et sans relâche ! Et puis chantons pour alléger la tâche ! En famille, au repas du soir, La joie avec nous vient s'asseoir ; Une voix dit au travailleur : "Le pain qu'on gagne est le meilleur." A l'œuvre, amis, et sans relâche ! Et puis chantons pour alléger la tâche !

Une page de "La nouvelle Lecture rationnelle", de F.A. Noël. Librairie Gedalge, 1901. (Collections Bibliothèque I.N.R.E.F.)



Travaille pour jouir, Sème pour recueillir ;
Prépare en ta jeunesse, De vertus, de sageses, Une riche moisson Pour l'arrière saison.
Exercices oraux et écrits - Qu'est-ce que l'abeille ? - Que fait-elle ? - Quelle est la saveur du miel ? - Que représente la seconde gravure ? - Comment se nomme l'habitation des abeilles ? - Quel exemple nous donnent les abeilles ? - Pourquoi devons nous travailler pendant notre jeunesse ? - Quel est le mois des fleurs ? - Dans quel mois fait-on les moissons ? - Qu'est-ce qu'une arrière saison ? - Expliquer les mots : butin, se flétrir, se faner.
LE TRAVAIL PROCURE L'AISANCE.

On peut clairement observer dans ces lignes une forme de propagande en faveur du travail. Certes ce n'est pas directement le travail salarié qui est sanctifié, mais à quelle autre forme de travail pourrait-on bien former la jeunesse du début du XXème siècle ?
On pourrait évidemment trouver de nombreuses autres traces de cette " propagande travailliste ", dans de nombreux autres documents et sous bien d'autres formes. Mais ces pages de manuels scolaires semblent bien représenter la volonté pédagogique et/mais réactionnaire que pouvait adresser l'esprit de la IIIème République à la société française, de laquelle nous héritons…
Ces extraits ont été parce qu'ils se suffisent à eux même, pour terminer cette première partie autant leur laisse les derniers mots : Quel exemple nous donnent les abeilles ? Mais ceux qui travaillent longtemps, Entre tous, sont fiers et contents. LE TRAVAIL PROCURE L'AISANCE.

Contre le travail salarié

A ceux et celles qui expliquent que le travail est la seule voie émancipatrice des hommes, des femmes et des enfants, on peut répondre par l'analyse étymologique du mot travail. Travail vient du latin tripalium. Tripalium est le nom d'une torture romaine qui consistait à empaler le condamné sur trois pieux. Quant au mot négocier, qui renvoie au travail commerçant, il vient du grec negos qui signifie non repos. Bien entendu nous ne sommes plus dans des sociétés esclavagistes, mais on voit que les terminologies choisies - et qui perdurent - sont éloignées de l'idée que l'on se fait d'une activité salvatrice et engageante.

Il est important de mentionner que les formes les plus autoritaires du mouvement ouvrier ont toujours glorifié le travail salarié. En effet la fierté du prolétaire c'est d'être un travailleur, c'est à dire le contraire d'un feignant. Cette culture du travail existe toujours, les " socialistes " britanniques se nomment " travaillistes " par exemple. Aujourd'hui, quels syndicats ou partis remettent en cause frontalement et radicalement la question du salariat ? Aucun. A partir de là, on peut se demander si les lignes politiques qu'ils défendent ne seraient pas dans une certaine mesure convergente avec celle du patronat militant que représente le MEDEF en particulier.

Il paraît donc important pour conclure de donner quelques références qui pourraient enrichir une réflexion globale contre le système salarial, ou au moins montrer que cette réflexion peut encore avoir une place aujourd'hui.

En 1883, Paul Lafargue écrivait "Le droit à la paresse". Emprisonné, il écrivait dans sa préface : "Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu'ont combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont à monter à l'assaut de la morale et des théories sociales du capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe appelée à l'action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre cessera d'être la vallée de larmes du travailleur; que, dans la société communiste de l'avenir que nous fonderons pacifiquement si possible, sinon violemment, les passions des hommes auront la bride sur le cou: car toutes sont bonnes de leur nature, nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage et leurs excès, et ils ne seront évités que par leur mutuel contre-balancement, que par le développement harmonique de l'organisme humain (…)"

En 1921, le peintre russe Kazimir Malevitch écrit "La paresse comme vérité effective de l'homme". Il veut y réhabiliter la paresse et l'oisiveté "mère de la vie", il écrit : "Le travail doit être maudit, comme l'enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l'homme. Mais c'est l'inverse qui s'est produit. C'est cette inversion que je voudrais tirer au clair."

En 1996, un collectif écrivait le "Manifeste des chômeurs heureux". Ils et elles y revendiquent un droit d'objection de conscience au travail salarié. Ceux et celles qui lisent l'Allemand peuvent le lire à l'adresse : http://www.diegluecklichenarbeitslosen.de.

En 2002, le groupe allemand Krisis publiait une édition française du "Manifeste contre le travail". Ils y écrivent en introduction : "Un cadavre domine la société, le cadavre du travail. Toutes les puissances du monde se sont liguées pour défendre cette domination : le pape et la Banque mondiale, Tony Blair et Jörg Haider, les syndicats et les patrons, les écologistes d'Allemagne et les socialistes de France. Tous n'ont qu'un mot à la bouche : travail, travail, travail !".
On peut le lire en ligne à l'adresse : http://infokiosques.net/article.php3?id_article=27

En 2003, un film était projeté dans quelques rares salles "Attention danger travail !". Ce film présente différents documentaires sur le travail salarié, des entretiens avec des "réfractaires au marché du travail" et des interviews d'hommes politiques et patrons qui condamnent ces derniers.
Le site du film : www.rienfoutre.org.

On pourrait continuer à enrichir cette liste*, notamment avec davantage de références historiques, mais ce papier est déjà long. Il paraît essentiel aujourd'hui de poser la question de la précarisation, et de se référer ainsi au cadre " normal " (ou normalisant) du CDI comme base de revendication. Mais cette référence ne doit pas devenir une exclusive bornée et simpliste. Si la question du CPE permet de ré-engager une réflexion autour de ce que certain-e-s appelaient et appellent "l'esclavage salarié", tout n'est pas perdu…


Julien Bordier
Chargé de TD de sociologie en AES
Doctorant IDHE Paris X Nanterre

* Une première bibliographie à l'adresse : http://www.homme-moderne.org/rienfoutre/divers/biblio.html


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