La nouvelle mesure du gouvernement s'adresse aux moins de 26 ans. Pour
eux, la période d'essai s'étendrait désormais sur deux ans, durant lesquels
le licenciement pourrait s'opérer sans préavis ni motif. Après le décret
d'août 2005 (décret annulé par la suite) sur le non-décompte des salariés
en dessous de 26 ans, associé à l'extension des contrats d'alternance
et apprentissage à des centaines de milliers de jeunes, cette nouvelle
mesure participe à un objectif : prolonger dans l'entreprise le statut
social d'adolescent en créant le statut de "jeune salarié".
Le décret d'août 2005 instaurait un nouveau décompte des effectifs
pour calculer les seuils légaux : seuls étaient décomptés les salariés
de plus de 26 ans. Le seuil de 20 salariés pour l'élection de délégués
du personnel, de 50 salariés pour un comité d'entreprise se transformait
en un seuil de 20 salariés de plus de 26 ans, etc. L'effet en matière
d'emploi de ces mesures est plus que discutable . L'effet social en est
par contre très clair. Les petites unités que représentent Mac Do, Pizza
Hut ou autres, secteur à fort emploi jeune, perdant toute possibilité
d'avoir des élus et donc un droit syndical, seraient ainsi redevenus des
zones de non-droits. Le mouvement de radicalisation des jeunes s'opposant
aux conditions de travail dans la restauration rapide aurait ainsi été
jugulé. La possibilité s'éloignerait de créer un lieu où de nombreux étudiants
découvrent la vie au travail, la situation de subordination ainsi que
son autre dimension, une communauté de salariés agissant collectivement
et de façon organisée.
Là où des collectifs de salariés ont réussi à imposer des droits égaux
devant les employeurs, cette loi ouvrait la voie à des droits différenciés
suivant l'âge. Non décomptés, ces jeunes salariés seraient très vite
devenus non électeurs, puis non électifs. Le taux d'accident du travail
est déjà plus élevé pour les jeunes : y participe l'impossibilité pour
ce jeune salarié de refuser une tâche dangereuse. Mais cette réflexion
pourtant largement partagée n'a pas été prise en compte par le gouvernement.
La précarité de certains salariés émiette déjà souvent ces collectifs
de travail, par ces statuts précaires empêchant de se coordonner pour
résister. Une nouvelle différenciation au sein de ces collectifs ne peut
que lui porter tort…
Si ce premier décret d'août 2005 a été refusée par le Conseil d'Etat
le 23 novembre 2005, au motif de contradiction avec les orientations européennes
de représentation des salariés, elle trouve pourtant une suite avec ce
Contrat Première Embauche dans sa tentative d'instaurer ce nouveau statut
jeune.
Le Contrat Première Embauche se traduit par la possibilité pour le jeune
d'être à tout moment remercié sans motif. Cette possibilité offerte à
l'employeur de prendre des mesures sans avoir à se justifier aux yeux
de ses salariés officialise ce "fait du prince" si souvent de mise dans
les entreprises. Elle confirme la nature plus "féodale" du droit du travail,
qui limite aux portes de l'entreprise toute dimension citoyenne de liberté
d'expression. Car c'est là l'effet le plus direct sur ces jeunes : le
CPE se traduit par l'obligation pour les jeunes de se taire, durant
ces deux années, sous peine de se voir exclu de l'entreprise. Et si cette
période ne suffit pas à calmer le sang bouillant de la jeunesse, un nouveau
contrat dans une autre entreprise peut y arriver…
Ce statut intermédiaire de la jeunesse accompagne depuis des décennies
la construction d'un âge intermédiaire entre l'enfance et l'âge adulte.
Les mesures de formation pour les jeunes salariés, en instituant les
contrats dérogatoires tels que les contrats d'alternance ou d'apprentissage,
ont institué ce statut précaire, puis l'ont peu à peu étendu : prévu
jusqu'à 20 ans en 1970, il s'étend aujourd'hui jusqu'à 26 ans… Le passage
par le sas de la précarité participait aussi à ce maintien dans le statut
jeune. Le passage à cet âge "de raison" s'opère, jusqu'à maintenant, principalement
par l'intégration dans un emploi stable. Le statut se double alors d'une
socialisation dans le cadre du collectif de travail. Par l'instauration
de ce CPE, c'est le dernier stade de sortie de cette période transitoire
qui se détériore.
Jeune, puis jeune précaire, puis "jeune salarié", le chemin s'allonge
pour devenir salarié à part entière, et gagner le droit de participer
au collectif des salariés, à ses luttes et aux transformations. Nul doute
que la plus grande faculté de la jeunesse à se révolter explique l'extension
de ce statut transitoire dans l'entreprise.
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