CPE, LA DOUBLE PERTE

Par Mathieu Grégoire - Collectif Première Embûche Nanterre


On a en France l'habitude de classer hiérarchiquement les contrats. Le CDI serait ainsi meilleur - par nature - que le CDD. L'idée d'un contrat unique, qui est sous-jacente dans les CNE/CPE, est vendue comme celle d'un "juste milieu" qui permettrait de lutter contre le dualisme du marché du travail : puisque les uns cumulent tous les avantages et les autres toute la précarité, il suffirait de trouver une voie moyenne pour "égaliser" les situations.

Nous voudrions montrer ici que le CPE, malgré les références aux modèles nordiques de flexi-sécurité, constitue un double recul par rapport au CDD et par rapport au CDI pour le salarié. Il constitue inversement une nouvelle arme pour l'employeur par rapport au CDI et par rapport au CDD.

Pourquoi ?
Avant de répondre à cette question il faut rappeler brièvement comment le CNE/CPE est " vendu " par ses défenseurs.


Le CPE constitue un "deal" nouveau entre salarié et employeur : certes, le salarié peut perdre son emploi à tout moment pendant les deux premières années de consolidation. Cependant, la période de consolidation n'est pas exactement une période d'essai dans la mesure où elle est assortie de nouveaux droits. De plus, l'idée centrale est que ces droits augmentent à mesure que le temps passe. L'employeur doit en effet payer 10% de la somme des salaires bruts déjà versés lors de la rupture du contrat (8% vont au salarié, 2% au service public de l'emploi). Si la rupture advient au bout de 10 mois de période de consolidation, l'employeur doit par exemple payer l'équivalent d'un salaire brut complet. A cela s'ajoute quelques "avantages" assurés par l'Etat (450 euros pendant deux mois pour ceux qui n'ont pas le droit aux ASSEDIC, le locapass…)


Comment interpréter ce nouveau contrat ? En quoi diffère-t-il du CDI et du CDD ?

Beaucoup ont insisté (à juste titre) sur l'enfer que constitue une période d'essai de 24 mois. L'absence d'obligation de motivation de la rupture du contrat est évidemment un élément majeur du débat. Nous voudrions néanmoins ici analyser le CPE d'un point de vue un peu différent, en le comparant aux avantages respectifs du CDD et du CDI.

Partons de la situation actuelle :
Aujourd'hui (avant le CNE), un employeur qui emploie un salarié en CDI paye le salaire du salarié et les cotisations afférentes. Lorsque le salarié est licencié il peut avoir le droit aux ASSEDICS en plus d'éventuelles primes de licenciement… Les salariés en CDD touchent le même salaire plus une prime de précarité (de 10% du salaire brut). Au terme de leur contrat, les salariés en CDD peuvent de la même manière avoir le droit à l'indemnisation chômage.

Certes le CDI apparait à beaucoup comme le contrat le plus avantageux car le plus protecteur. Néanmoins, pour certains travailleurs (en particulier parmi les jeunes), le CDD peut être préféré dans certaines conditions.
Ainsi, voit-on certains refuser des CDI, leur préférant la liberté de changer d'employeurs, de métier, d'activité… A l'image des " sublimes " du 19ème siècle, et dans un rapport "libertaire" et "intermittent" au marché du travail, ils ne souhaitent pas dépendre d'un seul employeur et préfèrent travailler six mois ici, trois mois là.

Encore une fois il ne s'agit pas de faire l'apologie du CDD mais de dire qu'avec une prime de précarité de 10% et la possibilité de toucher des indemnités chômage au terme du contrat, il présente des "avantages" pour certains. Quant au CDI, son caractère protecteur suffit à expliquer son attrait.

Liberté d'un coté, protection de l'autre : voilà les avantages respectifs du CDD et du CDI. A chacun de ces avantages sont attachées des contraintes particulières pour l'employeur (la prime de précarité ou le coût du licenciement).

Ce sont ces deux avantages que le CPE/ CNE fait perdre au salarié. Ce n'est en effet, qu'a posteriori que l'employeur décide laquelle de ces deux contraintes il choisit. Après un temps t qu'il aura lui-même fixé, soit il décide de se séparer de son salarié et paye les 10% qu'il aurait de toute manière payé s'il l'avait embauché en CDD ; soit il poursuit plus longtemps sans rien payer (comme si le salarié était en CDI).
Tout se passe dans le CPE comme si le salarié avait signé un contrat sans savoir s'il s'agit d'un CDI ou d'un CDD (ni le terme de celui-ci). Le point fondamental du CPE est la capacité de rétroactivité qu'il offre à l'employeur : quand il le désire, l'employeur choisit s'il préfère les contraintes du CDD ou les contraintes du CDI.

De son coté, le salarié perd tout : les avantages qu'il aurait tiré d'un CDI et les avantages qu'il aurait tiré d'un CDD. De fait, il ne sait pas vraiment quel type de contrat il a signé. Il ne connait pas son terme, ni même s'il a un terme. C'est donc une double perte. Par rapport au CDI, le salarié perd toute protection. Du jour au lendemain il peut faire l'objet d'une rupture de contrat. Il est ainsi à la merci de son employeur. Mais la situation n'est guère plus favorable par rapport au CDD. Certes, il peut toujours compter sur la philanthropie de son patron, mais le salarié perd d'une part la certitude d'un revenu pendant une période donnée (peut-être vaut-il mieux pour lui savoir préalablement qu'il en a pour trois mois, plutôt que de se faire mettre à la porte sans s'y attendre au bout de trois mois) ; mais il perd d'autre part sa liberté.

Avec le CPE, le rapport "intermittent" ou "libertaire" au marché du travail s'évapore. Plus prosaïquement, le salarié qui ne compte pas moisir toute sa vie dans un boulot pourri se trouve dans une situation délicate. La solution pour quitter l'employeur sera de déposer sa démission (et non d'attendre sagement la fin du CDD). Et une démission équivaut à l'absence de tout droit aux allocations chômage. Se faire virer sera ainsi un service que l'on demandera à l'employeur que l'on veut quitter. Il faudra donc bien que l'employeur accepte de rendre ce service (qui lui coute 10% des salaires bruts versés).

La relation salariale s'inverse donc totalement au profit de l'employeur qui a le pouvoir permanent de requalifier le contrat (de choisir s'il préfère les contraintes du CDI ou du CDD). Cela a pour effet de mettre le salarié sous un double feu : potentiellement en CDI, potentiellement en CDD (selon le bon vouloir de son employeur), il n'est à l'abri ni des contraintes de l'un, ni des contraintes de l'autre. Il ne lui reste ni protection, ni liberté, mais seulement ses larmes pour pleurer.


Mathieu Grégoire
Chargé de TD en sociologie
Doctorant IDHE Paris X Nanterre


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