Le gouvernement avance
trois objectifs pour le CPE : des créations d'emplois pour les plus jeunes
; une meilleure prise en compte des difficultés des entreprises face à
l'incertitude, une intégration plus forte des jeunes au marché du travail
mais aussi à la vie sociale. Ces objectifs ont-ils des chances d'être
atteints ?
D'abord, le CPE est-il vraiment un Contrat Pour l'Emploi ? Contrairement
à ce que l'on peut souvent lire ou entendre, il n'y a pas de consensus
parmi les économistes concernant les effets de la protection de l'emploi
sur le chômage. Le gouvernement attend avant tout du CPE qu'il entraîne
des créations d'emplois pour les jeunes dans un climat d'incertitude où
les entreprises ne peuvent pas toujours embaucher en CDI. Lorsqu'un employeur
prévoit une embauche pour répondre à une reprise de son activité, mais
qu'il doute de la solidité de cette reprise, il peut être réticent à proposer
un CDI. Il peut alors proposer des stages, ou des CDD de courte durée
qui lui permettent de ne pas s'exposer aux difficultés de licenciements
potentiels. Avec le CPE, les entreprises pourraient offrir des " CDI "
tout en attendant que la reprise se consolide. C'est cette logique qui
sous-tend l'idée selon laquelle ce contrat permettrait de créer des emplois
qui n'auraient pas vu le jour avec les seuls CDI. Mais si le CPE facilite
l'embauche, il facilite aussi le licenciement. Si dans les deux ans suivant
l'embauche, l'activité ralentit, les contrats seront plus facilement interrompus,
ce qui augmentera l'afflux de jeunes vers le chômage. Pour que le CPE
permette des créations nettes d'emplois à long terme, il faut que l'incitation
à l'embauche l'emporte sur la tentation de licencier. Sur quelle base
nos ministres ont-ils pu trancher entre les effets positifs et négatifs
d'un assouplissement des conditions de licenciement ?
Le gouvernement ne voit pas dans le CPE une source d'accroissement des
licenciements. Au contraire, ce contrat permettrait de construire une
relation entre un employeur et un salarié qu'il va former pendant deux
ans, et qu'il souhaitera garder ensuite en CDI. Pourquoi voudrait-il licencier
un travailleur qu'il a formé ? Certes, mais si cet argument tient, il
rend inutile ou outrageusement longue la période de " consolidation ".
L'effet de création d'emploi tient justement à la possibilité de licencier
facilement. La seule justification de ce contrat réside dans l'incertitude
à laquelle sont confrontées des entreprises dans un marché oppressant
qui pousse à une gestion en flux tendus des hommes comme des marchandises,
à la recherche d'une augmentation sans cesse renouvelée de la rentabilité
à court terme.
Comment alors évaluer ce qui peut l'emporter entre la création et la destruction
d'emplois induites par la mise en place du CPE ? Nous avons construit
une maquette pour simuler les décisions d'embauche et de licenciement
d'entreprises confrontées et à une incertitude concernant leurs ventes
à venir. Notre travail indique que, dans les conditions de fluctuations
de l'activité observées dans le secteur marchand en France entre 1970
et 1998, un assouplissement des conditions de licenciement aurait été
défavorable à l'emploi. Par cette méthode, on montre aussi qu'une telle
mesure réduit d'autant plus l'emploi que le regain d'activité est modéré
et que les risques de baisse d'activité future sont relativement élevés.
Dans la situation actuelle, où la reprise annoncée est molle et fragile,
il semble donc peu probable que le CPE soit un Contrat pour l'emploi.
Et c'est sans compter les effets catastrophiques qu'une situation durable
de précarité pour les jeunes peut avoir sur leurs dépenses, et par tant,
sur la croissance.
Si le CPE n'est pas un Contrat Pour l'Emploi, peut-il être un Contrat
Pour l'Employeur ? Simple degré de liberté supplémentaire pour les employeurs,
le CPE ne devrait pas leur déplaire. Les entreprises qui devraient être
séduites par le CPE sont celles qui font face à une demande qu'elles jugent
fluctuante. Mais si le CPE leur offre de nouvelles possibilités d'ajustement,
il agit aussi sur l'amplitude des fluctuations auxquelles elles cherchaient
ainsi à s'adapter. En effet, l'assouplissement des conditions de licenciement
va rendre l'emploi et la consommation plus sensibles à la conjoncture.
Dès lors, une diminution de faible ampleur et transitoire de l'activité
risque de se transformer en atonie générale et durable... Les entreprises
gagnent à ce que les fluctuations de l'activité soient amorties. C'est
ce que réalisent en partie, les coûts de licenciement selon un mécanisme
de " stabilisateur automatique " de même nature que celui de la protection
sociale. Si chaque employeur désire licencier dès qu'il en ressent le
besoin, comme il aimerait sans doute pouvoir réduire les salaires, il
doit ardemment souhaiter que cette possibilité ne se généralise pas, sous
peine de mettre rapidement la clé sous la porte. C'est parce que les entreprises
auraient du mal à se mettre d'accord pour décider ensemble d'attendre
un peu avant de licencier, quand les commandes manquent à l'appel, que
l'Etat -ou le législateur- doit réaliser cette coordination des intérêts
individuels. Et même si tous les CPE étaient convertis en CDI au terme
des deux ans, les employeurs auraient collectivement perdu à n'avoir pas
recouru directement à des CDI. Pendant les deux ans de périodes de consolidation,
les salariés auront rencontré des difficultés pour accéder au crédit et
au logement, voire tenté d'épargner pour faire face à un éventuel licenciement,
et la demande aura été déprimée. Finalement, le contrôle du licenciement
a certainement un effet bénéfique sur l'activité économique, malgré un
effet de second ordre sur les embauches.
Reste l'argument du MEDEF d'alléger les procédures juridiques pour les
employeurs -ce qui pourrait être aussi bénéfique à l'Etat. Peut-on penser
qu'un encadrement moindre du licenciement, réduira les litiges ? Là encore,
on peut en douter. Si l'on s'en tient à la comparaison des deux catégories
de licenciement actuelles, c'est la forme la moins encadrée du licenciement
-le licenciement individuel- qui donne lieu au plus grand nombre de litiges.
Il n'est d'ailleurs pas certain que l'ensemble des PME et des grandes
entreprises ressentent la nécessité de disposer du CPE pour embaucher.
C'est en partie ce qui ressort d'un récent rapport de l'Institut Montaigne,
qui conseille de ne pas recourir au CDD en insistant sur le fait que "
la précarité doit être la limite de la flexibilité ", et en signalant
aussi que son usage " est source inépuisable de litiges ". Ces arguments
pourraient s'appliquer tout aussi bien au CPE. De fait, toute la littérature
économique de la relation de travail explique que l'engagement de l'employeur
sur la durée est la condition essentielle de l'efficacité productive à
travers l'accumulation de capital humain et de capital informationnel
: en termes plus clairs, cela revient à dire qu'il est de l'intérêt de
l'employeur de s'engager à long-terme pour que le salarié devienne plus
productif et que l'on puisse découvrir comment tirer le meilleur parti
de son potentiel ...C'était précisément la motivation de Tony Blair en
1999 lorsque son gouvernement a réduit à un an la période de consolidation
qui était auparavant de deux ans, ce qui a effectivement amené les entreprises
à améliorer les procédures de recrutement de formation de leurs salariés
sans nuire à l'emploi.
Au-delà des arguments économiques, le CPE peut-il être un Contrat Pour
les jeunes Employés. Le gouvernement avance sans cesse la part élevée
des jeunes en stage peu ou pas rémunérés, et en CDD de très courte durée,
pour valoriser les avancées permises par le CPE. Mais la référence doit-elle
être ce type de situations précaires et inacceptables ? L'Etat et le législateur
peuvent-ils ainsi justifier le mal par le pire ? On pourrait, avec ce
type d'arguments, justifier le travail des enfants par le fait que les
familles ne s'en sortent plus avec les seuls salaires des parents. Et
d'ailleurs qu'apporte le CPE que les CDD n'offraient pas. Le LOCAPASS
? non, car il est aussi accessible pour les titulaires d'un CDD d'au moins
trois mois. Des possibilités de formation ? pas davantage. La perspective
d'un emploi en CDI ? pas si le CPE est utilisé dans un souci de flexibilité.
Au moins, les jeunes qui ont un CDD savent quand il s'arrêtera et ne se
lèvent pas chaque jour en se demandant s'ils finiront le mois. Et restera-t-il
encore des jeunes actifs de moins de 26 ans pour décrocher un CDI (ils
sont environ la moitié des jeunes actifs à l'heure actuelle) ?
Finalement, le seul effet certain du CPE est qu'on ne peut rien imaginer
de mieux pour soumettre un jeune pendant deux ans (ou moins) aux exigences
d'un employeur. Quel jeune osera refuser des heures supplémentaires (payées
?), des missions imprévues dans son contrat ou des horaires incompatibles
avec une vie de jeune famille et l'intégration dans une vie sociale tant
appelée de leurs vœux par les défenseurs du CPE ? Ne s'agirait-il en fait
que d'un Contrat pour l'Exploitation ?
Le CPE met à mal le socle du droit du travail : protéger la partie faible
et civiliser les relations de travail. La France n'a-t-elle plus les moyens
de promouvoir des conditions de travail décentes, où l'employé dispose
de droits contre l'arbitraire d'un employeur ? A quoi sert donc de voir
notre PIB doubler tous les 20 ans s'il n'en résulte qu'une régression
sociale ?
***
Références :
I. Marinescu, "Shortening the tenure clock : the impact of strengthened
the UK job security legislation.", Job Market Papers, NBER, 2006.
M. Pucci et J. Valentin, " Le renchérissement des CDD peut-être favorable
à l'emploi : une analyse des décisions des entreprises en environnement
incertain ", Annales d'économie et statistiques,
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