Quand certain-e-s veulent
nous cantonner à la lutte contre le CPE (et la loi sur l'égalité des chances)
sous prétexte de " massifier le mouvement " et de préserver une pseudo-unité…
Quand certain-e-s ne jurent que par le CDI sans penser une seconde à ce
qu'est le travail salarié… Quand certain-e-s bureaucraties syndicales
ou politiques souhaitent se racheter une légitimité en se la jouant "
rebelles " et demandent " un emploi stable pour tous ". Nous avons envie
de rire ou de pleurer.
Mais quand Martine Aubry présente son projet " Eva " pour la présidentielle
de 2007, nous voyons poindre les fausses alternatives qui risquent de
se multiplier dans les prochaines semaines. Eva ne vient pas d'une officine
managériale, Eva signifie " Entrée dans la vie active " et est censée
tou-te-s nous faire rêver. Martine Aubry l'a présenté le 3 mars 2006 à
Lille. Paul Quinio en a exposé la trame dans Libération (1). Un nouveau
combat se profile.
Issu d'un véritable " brainstorming entre éléphants socialistes " selon
Libé, Eva est une belle saloperie. Le MJS et l'Unef jubilent : l' " Allocation
d'autonomie " c'était leur idée, une idée qu'elle est bien. Eva propose
un " droit " : une allocation versée aux 18-25 ans qu'ils-elles soient
chômeur-se-s, étudiant-e-s ou précaire-s…Pour tou-te-s ceux-celles qui
souhaitaient une extension du RMI aux moins de 25 ans, cela peut apparaître
pas mal. Premier bémol : la thune versée " pourrait varier en fonction
de l'âge, du revenu des parents ou de la situation du jeune concerné (en
cours de formation, au chômage, employé à temps partiel, emploi à temps
plein mais peu rémunéré...) ". " Universelle " en principe mais sélective
en réalité, cette allocation remplacerait celles qui existent (bourses,
APL…).
"Autonomie financière" contre intégration forcée
" Autonomie ". Quand ce mot est prononcé par un membre du PS, on peut
être sûr qu'il s'agit de l'autonomie financière, pas celle qui nous intéresse
: la possibilité de décider de nos vies individuellement et collectivement,
possibilité qui passe par un refus du monde qu'on nous propose et des
évidences qu'il porte en lui. Parmi celles-ci : l'intégration à tout prix
et l'insertion par le travail salarié. " Qui dit droits dit devoirs ",
cette maxime que l'on aime rappeler tant à gauche qu'à droite pour mieux
multiplier les seconds, Martine Aubry la reprend dans son projet.
Dans Libération on peut ainsi lire que le " jeune indemnisé " aura l'
" obligation de suivre une formation " et devra montrer qu'il est en "
recherche d'insertion ". Ensuite elle appelle, comme la droite, l'instauration
d'un " service civil obligatoire ".
Tout d'abord nous devons nous demander quelles " formations " seront proposées,
pour quels types de boulot et quel est le but de ces formations. Aujourd'hui,
aux dires mêmes des agents de l'ANPE, les formations proposées à ceux
qui sont peu ou pas diplômés ne sont pas contrôlées (celles et ceux qui
sont " formé-e-s " se retrouvent ainsi généralement à effectuer le sale
boulot pour des patrons peu scrupuleux) ; quand il y a réelle formation,
celle-ci ne s'applique souvent qu'à un poste donné et ne peut être " valorisée
" ailleurs. Enfin et surtout, ces formations ne visent qu'à occuper le
jeune : elles ne débouchent sur rien, elles permettent seulement d'afficher
des " chiffres positifs " en matière de chômage.
Occuper les jeunes, les occuper à tout prix
L'inactivité est prise en chasse, elle pousse au vice…n'est-ce pas ce
que sous-entend l'obligation de " recherche d'insertion " du projet Eva
?
Déjà les chômeur-se-s sont traqué-e-s : au bout de trois mois de chômage,
ils-elles doivent pointer tous les mois et prouver qu'ils sont dans une
démarche de " recherche active d'emplois ". S'ils-elles ne le font, ils-elles
ont toutes les chances d'être radié-e-s des listes et ne plus avoir droit
à leurs allocations chômage.
Tout est fait pour culpabiliser les chômeur-se-s, coupables de ne pas
savoir s'adapter, de ne pas bien présenter, de ne pas être mobile, de
ne pas être dynamique… Coupables finalement d'être chômeur-se-s dans un
monde où tout est censé passer par le travail. Les " jeunes de banlieues
" brûlent des voitures… au boulot ! Et peu importe lequel, ça leur apprendra
la vie. A droite comme à gauche, le travail (salarié) est la solution
(2). Comme si les boulots de merdes et l'exploitation la plus brutale
pouvaient être désirable. Comme si " s'insérer " signifiait se libérer
ou, tout du moins, vivre décemment.
Prouver que l'on est en " démarche d'insertion " reviendra à montrer que
l'on accepte de se soumettre aux règles de ce monde. L'Etat jouera le
rôle du garant de cet assujettissement : avec l' " allocation d'autonomie
" d'Eva, il détiendra les clefs de notre survie.
"Flexécuriformation"
Eva est, selon Martine Aubry " le premier étage de la fusée " de la future
" réforme du statut de l'actif " que proposera le PS en 2007. Dans un
meilleur des mondes du travail, le PS souhaite éradiquer le chômage et
créer un " parcours professionnel sécurisée " qui combinera travail flexible,
allocations entre les contrats et formation.
Le PS, comme la CGT, ne jurent plus que par la flexecurité : " Tu as fini
ton contrat ! Pas de problèmes… Tu fais une formation obligatoire et tu
reviens plus compétitif sur le marché du travail… Finis de faire la gueule
parce que t'es au chômage… Un boulot t'attend si tu en veux un peu ! ".
Les têtes de la CGT et du PS s'accordent sur la nécessité pour chacun
de se calibrer, se re-calibrer sans cesse pour pouvoir continuer à se
vendre sur le marché du travail. Comme s'ils-elles ne savaient pas ou
ne voulaient pas savoir ce qu'était le travail ou l'exploitation. Comme
si la sécurité faisait tout. Comme si la précarité était le seul problème.
Dépasser la précarité, attaquer l'insertion forcée et le salariat
Martine Aubry, pour vanter son projet, affirme que " c'est l'inverse absolu
du CPE " qui précarise et " insécurise ". Que le CPE facilite les licenciements,
tout le monde est d'accord ; mais s'en tenir au problème de la précarité
c'est oublier la réalité du travail, les prix physique et psychique d'une
productivité accrue, c'est oublier ce qu'est le salariat, ce don de soi
contre salaire, cette aliénation fondamentale et c'est, finalement, risquer
de laisser le champ libre - une fois le CPE retiré, si toutefois cela
arrive - à des projets comme EVA qui " sécurise " pour que chacun puisse
s'intégrer à la machine capitaliste. A lire les forums anti-cpe des MJS,
seule la " réalité " de l'économie compte, pas le vécu, ni les aspirations.
Ils clament " Nous ne sommes pas des esclaves " tout en pensant que le
CDI ou la flexecurité représentent la panacée. Les chaînes du travail
moderne sont-elles si finement intégrées qu'elles ne se voient plus ?
Notes:
(1)
http://www.liberation.com/page.php?Article=364106
(2) Voir les textes du Collectif Première Embuche "Mise au travail"
et "Le CPE dans son contexte".
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